On a vu depuis le début du confinement un accroissement important de la présence des artistes sur les réseaux et notamment des artistes plasticien.ne.s. Les structures des arts visuels (galerie, musées, résidences, centres d’arts …) ou les artistes eux mêmes n’ont cessé de chercher de nouvelles manières de créer chez-soi, de communiquer sur son travail ou de réinterroger les interactions entre l’artiste et le public. Pourtant si les réseaux connaissent un engouement évident depuis la mi-mars, ils ne parviennent pas complètement à combler les manques : annulations d’expositions, reports de résidences, arrêt des projets. Alors que retenir de cette période ? Si elle apparaît propice à la création de nouvelles pratiques, de nouveaux rapports à l’art, elle vient aussi fragiliser un secteur souvent dernier wagon des politiques culturelles.
Léo Fourdrinier, plasticien :
« Depuis la mi-mars on a vu beaucoup d’ “online exhibitions » lancées par les structures. En général il y a deux écoles, ceux qui sont très enthousiastes avec ce type de projet et ceux qui ne voient pas vraiment cela comme une exposition. La pratique à mon sens se rapproche plus d’un portfolio online, en cela qui lui manque des caractéristiques physiques qui font tout l’attrait d’une exposition, mais elle a aussi ses avantages. J’ai par exemple été invité par Hestia et la commissaire Aurélie Faure pour présenter un travail commun avec Marbre (https://hestiabelgrade.com/irl-project-by-aurelie-faure?fbclid=IwAR372rRqU0KvCiLV4aWKgt1fHQVVYM4SDY527GPPLKxZ0T5xA0P-abgp7ro).
Pour l’occasion j’ai surtout retravaillé des formats vidéos qui se prêtent à merveille à l’exercice, ça m’a permis de développer certains projets. »
Et c’est vrai que de nombreuses initiatives ont très vite émergées, certains centres d’arts ont remis à jour leurs historiques, c’est le cas de 40mcube à Rennes qui met en ligne un inventaire regroupant 19 années d’archives ( http://www.40mcube.org/www/).
Le plasticien Martin Lewden remarque « qu’il s’est passé beaucoup de choses sur les réseaux, notamment au niveau des transmissions de savoirs, je dirais qu’à bien des égards il y a eu un regard plus attentif des structures sur les artistes à travers les réseaux ».
On notera ainsi certaines initiatives de mise en valeur des artistes plasticien.ne.s sur instagram, à travers des comptes comme closed_windows_no_entry_ (https://www.instagram.com/closed_windows_no_entry_/) ou artistescontemporains (https://www.instagram.com/artistescontemporains/) qui est une plateforme consacrée à la création plastique contemporaine en France. Mais aussi des initiatives solidaires comme celle des Amis Des Artistes http://tribew.fr/lesamisdesartistes/ qui invite les plasticien.ne.s à publier leurs œuvres sur ses réseaux sociaux avec le hashtag #lesamisdesartistes afin que celles-ci puissent être retrouvées par les collectionneurs mobilisés par la structure. En cas de vente L’acheteur verse 70 % du prix directement à l’artiste et les 30 % restants sur une cagnotte solidaire Leetchi au profit d’une association assurant leur distribution auprès d’autres artistes.
Léo Fourdrinier explique que « puisque les projets réels ont été soit annulés, soit décalés, ça m’a permis d’avancer sur mes dossiers de résidences, développer ma communication, ou me mettre en relation avec des artistes étrangers. Sur ce dernier point c’est peut-être l’un des avantages à retirer du confinement, les artistes ont été beaucoup plus présents sur les réseaux ce qui a considérablement renforcé les échanges internationaux. »
À l’image de certaines initiatives qui ont travaillé à partir de l’exploitation de l’espace virtuel, c’est le cas du CPU, collectif de Buenos Aires dont les commissaires Boris MHL, Mano Leyrado et Paola Mattos ont souhaité créer une interface avec les coordonnées des oeuvres exposées (https://cpucpucpu.art/host/?fbclid=IwAR1BwLoKTdcqxhiDTz458OwoCfuMLmEczuG853fDw4y7hl-jxTIkTuKGc0A).
Les expositions en ligne deviennent aussi plus immersives, avec des expériences en 3D comme celle proposée par la LIS10 Gallery de Milan (http://www.lis10gallery.com) ou la on-off gallery qui propose une exposition intitulée “Du je au nous”, qui en plus d’être visible en 3D intègre aussi des commentaires sonores pour accompagner le visiteur (https://on-off.gallery/1/0003/2). Notons également les « virtual event » d’Art I Basel, qui comportent des conférences internationales via des lives facebook (https://www.artbasel.com/events/detail/11941/Virtual-Event-The-Impact-of-Covid-19-on-the-Art-Market/7813), mais aussi des expositions en ligne, visibles par application sur smartphone où les oeuvres peuvent être achetées en direct (https://www.artbasel.com/events/detail/12091/Virtual-Event-Opening-on-www-upstream-gallery-Echo/7961).
« Il y a eu des initiatives qui ont encouragé les solo show, notamment celle portée par Underground Flower, Rhizome Parking Garage & Harlesden High Street sursoloshow.online. J’y ai participé (http://soloshow.online/leo.html?fbclid=IwAR1OLYoJ8ZB_SPaBBhW4Cb3NQbBghfJ_dEJLse0cHB_mdU3BuFNLUB4YY-0) et c’est assez intéressant parce que ça permet à l’artiste de composer avec son espace de confinement, organiser une exposition chez soi, prendre en photo les oeuvres, faire de la prise de vue documentaire… Ici documenter le travail devient un des éléments les plus intéressants du solo show. »
« Extrait du clip Ronin, sorti le 3 mai 2020. crédit photo : Marbre »
Pourtant il semblerait y avoir un revers à la médaille : la difficulté à créer. Cette période anxiogène ne réussit pas à tous les artistes qui paradoxalement, s’ils disposent de plus de temps n’ont pas l’esprit suffisamment libre pour créer. Ce que résume très bien le groupe Marbre « Quand on a commencé la période de confinement on s’est dit que c’était le moment de faire un mini album, on a commencé à composer et on s’est rendu compte qu’on restait au point mort. L’esprit a besoin d’être nourri pour créer et nous ce qui nous nourrit c’est l’interaction avec les autres, avec l’extérieur. Rester enfermé et se concentrer ne fonctionne pas dans notre dynamique de travail ».
Et pourtant, Marbre s’est saisi de ce sentiment pour en faire une production plastique, visuelle et musicale, un clip entièrement réalisé à la maison, avec une oeuvre plastique centrale composée elle aussi de matériaux maisons. Dans leur dernier clip (https://www.youtube.com/watch?v=BG6Ivg08FvQ) le duo construit une armure de Ronin, ce samouraï qui perd son seigneur, un mercenaire solitaire et sans mission. Ronin est transposé à sa modernité, puisque le mot est aussi utilisé pour désigner les personnes sans emploi dans la société japonaise. « C’est un esprit guerrier qui n’est plus nourri, vide de sens, pendant le confinement nos repères ont été bouleversés et le temps s’est allongé, tout à été fait dans notre salon, la fabrication nous a pris un mois, quelques heures chaque jours comme un rituel. Fabriquer cette armure, a été comme une façon de combler ces vides et donner des repères. »
Le confinement a donc été une occasion pour les artistes d’explorer d’autres pistes, comme Martin Lewden qui à partir de son projet artistique No Utopia a franchi le pas vers une diffusion plus grand public en créant des bijoux directement inspirés de sa pratique plastique (https://no-utopia.fr). « C’est une idée que j’ai eu bien avant le confinement, j’ai créer les premières boucles d’oreilles pour les offrir en cadeau à ma compagne et les retours ont été enthousiastes. En reprenant les bases du projet No utopia, nous avons ensemble profité du confinement pour lancer une série de bijoux doré à l’or fin et en argent. On a aussi travaillé sur l’origalité de ce projet en proposant, du site internet, au packaging jusqu’à la réception des bijoux, une expérience singulière.»
Occuper le temps, profiter du temps, suspendre le temps, ne pas perdre son temps, prendre le temps, le temps comme élément central d’innovation artistique, devient tour à tour opportunité ou contrainte. Mais la force – contrainte ?- de l’artiste plasticien.ne est aussi de réussir à composer avec les imprévus, de les intégrer comme des variables de composition. Le changement de rythme offre de nouvelles perspectives pour les plasticien.ne.s, au même titre que ces espaces fermés et réduits qui caractérisent si bien cette vie confinée. De nouvelles pratiques rythmiques et spatiales, c’est probablement ce à quoi nous assistons aujourd’hui dans les arts visuels, reste à savoir s’il s’agit là d’un changement de fond ou d’une simple parenthèse